Université Laval
Faculté des sciences et de génie
Rapport
du Groupe de travail sur la place du design
dans les programmes de génie de l'université Laval

novembre 1996
conversion en version html: DP, 20 sept 1997

Résumé

Les programmes de génie de l'université Laval répondent généralement très bien aux normes actuelles du BCAPI. Mais ces normes reflètent un contexte professionel traditionnel, que l'évolution rapide des technologies et des marchés est en voie de transformer profondément. Ces normes sont donc vouées à une mutation importante, comme l'annoncent des réflexions déjà fort avancées sur l'échiquier nord américain.

Le nouveau contexte de l’ingénieur est caractérisé, entre autres, par la complexification croissante des disciplines, la disponibilité d'outils technologiques puissants, et le couplage accru entre les travaux de génie et les considérations socio-économiques. L’ingénieur a toujours été un intégrateur. Mais cette évolution renforce encore davantage ses besoins en matière de  savoir-faire, d'autonomie, d'attitude et d'habiletés lui permettant de poser les bons problèmes et de proposer des solutions valables dans un contexte dynamique où l'interdisciplinarité, la multi-dépendance, l'incertitude sont sans cesse plus présentes.

Le design - activité dont l’objectif est précisément l’intégration d’opportunités et contraintes - est donc destiné à incarner encore davantage la spécificité de la formation en génie, au point d'en devenir le pivot central autour duquel gravitent les autres éléments.

Compte tenu de la qualité des activités actuelles et d'une tradition déjà bien ancrée, les programmes de génie de Laval pourraient et devraient assumer une position de leadership en formation design.
Les changements à faire intervenir reposent essentiellement sur une meilleure pédagogie, une intégration plus accentuée des éléments de formation, et une meilleure perception des intervenants vis-à-vis les nouvelles opportunités qui s'annoncent.

Le document propose des moyens d'action spécifiques.

1. Création du Groupe de travail et mandat

Dans une lettre datée du 12 avril 1996, le Vice-doyen aux études, Monsieur Pierre Moreau, créait le Groupe de travail facultaire sur la place du design dans les cours des programmes de génie, en nommant Jean-Claude Méthot président du groupe.  Dans sa lettre, il définissait le mandat du nouveau Comité comme suit:

2. Composition du Comité et calendrier des réunions

En même temps qu’il créait le Comité, le Vice-doyen aux études lançait un appel aux directeurs des départements de génie afin de nommer un représentant par programme de génie.  Cette opération a été un peu longue et la première réunion du Comité a été tenue le 13 juin 1996.  Une deuxième réunion a eu lieu le 21 août 1996.  La composition du Groupe de travail a été la suivante:
Robert Bergevin (génie informatique; première réunion seulement), Pierre Gélinas (génie géologique), Guy Gendron (génie civil; première réunion seulement), Claude Gosselin (génie mécanique), Luc Lachance (génie civil; deuxième réunion seulement), Jean-Claude Méthot (président), Richard Poulin (mines), Denis Poussart (génie électrique), René Roy (génie physique; deuxième réunion seulement), Jules Thibault (génie chimique), Tan Vo Van (génie des matériaux).

On aura remarqué que M. Luc Lachance a remplacé M. Guy Gendron après la première réunion et que M. René Roy a été oublié par erreur lors de la convocation de la première réunion. Le Président a également agi comme secrétaire du Groupe. Les membres du Groupe ont eu l'occasion de lire et de commenter le rapport final en vue de son approbation.

3. Définition du design

Lors de la première réunion, les membres ont convenu rapidement de retenir la définition du design proposée par le BCAPI:  (Rapport annuel 1995, page 16)

La conception en ingénierie fait l’intégration des mathématiques, des sciences fondamentales, des sciences du génie et des études complémentaires de façon à développer des éléments, des systèmes et des procédés qui répondent à des besoins spécifiques.  C’est un processus créateur, itératif et souvent sans limites précises.  Dépendant du type de discipline, il est soumis, à divers degrés, à des contraintes pouvant provenir de normes ou de lois.  Ces contraintes peuvent toucher à des facteurs reliés à l’économie, la santé, la sécurité, l’environnement, la société, ou à d’autres facteurs pertinents.

De fait, les membres voient dans l’activité de type “design” la dimension nettement distinctive de la formation en génie, prolongement essentiel de celle de type strictement scientifique. Etre ingénieur, c’est évidemment maîtriser des connaissances, des méthodes et des ressources à caractère technique et scientifique. Mais c’est aussi être à même d’aborder efficacement des questions d’importance au plan socio-économique dans un contexte où l’information est incomplète, où il existe des contraintes qui ne sont pas uniquement techniques et où un dialogue multidisciplinaire s’impose, de savoir gérer des ressources diverses. Bref, être ingénieur, c’est pouvoir être maître d’oeuvre (ou de participer à cette maîtrise d’oeuvre) de projets d’envergure où la dimension technique est certes présente, mais pas nécessairement de manière exclusive: ce n’est pas seulement savoir, c’est aussi savoir faire.

C’est à cet égard que le mot intégration  apparaît tout à fait central dans cette définition, intégration des connaissances et méthodes scientifiques entre elles, mais aussi avec la dimension et la richesse des autres facettes et contraintes qui accompagnent les réalisations humaines.

Il ressort de ceci qu’aux yeux du Comité, la dimension “design” de la formation transcende considérablement la simple résolution de problèmes techniques bien posés. Ceci devient chaque jour plus facile. Bien poser les bons problèmes demeure le défi; cette activité constitue, à maints égards, le coeur de la contribution de l’ingénieur et doit donc occuper une place de choix dans sa formation.

4. Place actuelle du design dans les cours des programmes de la Faculté

À l’occasion de la première réunion du Groupe de travail, le Président a demandé à chacun des membres de préparer un document qui résume la place du design dans leur programme respectif.  Les documents ainsi produits pour tous les programmes de génie de la Faculté, ont été portés en annexe.  À l’examen rapide de ces textes, on constatera facilement que le nombre d’activités avec un fort contenu en design est relativement élevé.  Les remarques suivantes au sujet de chacun de ces programmes s’imposent:

Baccalauréat en génie chimique:  seulement quatre cours obligatoires ont une composante importante en design:  GCH-17802 - CAO en génie chimique (3 cr), GCH-10174 - Technico-économie  des  procédés  I  (3 cr),  GCH-10175  -  Technico-économie  des  procédés  II  (5 cr)  et GCH-20231 - Conception des appareils et instrumentation (2 cr).  Le design est présent aussi dans certains autres cours.  On déplore un manque de coordination entre ces cours.

Baccalauréat en génie civil:  on a identifié 20 cours différents traitant, sous une forme ou une autre, du design.

Baccalauréat en génie des matériaux et de la métallurgie:  la situation varie selon les types de cours du programme; quatre cours de base ont un contenu en design équivalent à 4 crédits, quatre autres cours en ont pour 5.5 crédits et le fait que le programme est coopératif, signifie que l’on peut ajouter 3 crédits de conception à ces nombres.  De plus, trois cours de conception font l’intégration des connaissances techniques pour un total de 9 crédits et certains cours à option peuvent en contenir jusqu’à 4.5 crédits supplémentaires.  Comme ces cours sont répartis sur les quatre années du programme, l’étudiant apprend à développer ses aptitudes progressivement et en proportion de plus en plus importante avec l’avancement de ses études.

Baccalauréat du génie des mines et de la minéralurgie:  le programme comprend 16 crédits de design, dont trois stages coopératifs en entreprise, à forte prédominance en conception.

Baccalauréat en génie électrique:  le programme de baccalauréat en génie électrique se distingue par une concentration expérimentale relativement importante par rapport à celle de la plupart des programmes semblables au Canada.  Sur les 18 cours obligatoires de sigle GEL, 10 comportent des travaux pratiques (la plupart du temps au rythme de 3h/sem).  Des quelques 54 cours de 1er cycle de sigle GEL dispensés par le département, 35 comportent des travaux pratiques.  Il y a donc ici une tradition bien ancrée de la liaison entre théorie et pratique. Ce travail expérimental constitue un foyer privilégié des activités de conception.

Un bloc de cours en “conception et synthèse” vise explicitement l’activité de design, laquelle peut se prolonger par des projets de fin d’études d’envergure variable.

Au cours des dernières années, le département a consacré un effort considérable au développement de la formule “Stage en entreprise”.  Au cours de l’été 1996, 50 étudiants ont réalisé de tels stages, ce qui constitue un succès considérable et une piste des plus pertinentes pour la promotion des activités de design.
Baccalauréat en génie géologique:  le programme comprend des cours de design proprement dits dans les deux dernières années du programme mais des activités de conception font aussi partie des cours à l’aide d’exemples de calculs et de travaux pratiques de laboratoire ou sur le terrain.

Baccalauréat en génie informatique:  En résumé, le programme actuel accorde une grande importance à l’activité de conception de l’ingénieur en informatique.  Quelques cours permettent d’intégrer les connaissances acquises dans un cadre réaliste.  Ces activités se font par contre d’une façon assez classique, étant plus restreintes en début de programme, augmentant en proportion avec l’avancement du cheminement de l’étudiant, tout en se faisant dans le cadre organisationnel actuel, soit le compartimentage de l’enseignement et la promotion par cours.

Baccalauréat en génie mécanique:  le rapport du BCAPI de 1994 relève que les finissants en génie mécanique sont exposés à au moins 18 unités (une unité égale 50 minutes d’enseignement) en conception au cours du baccalauréat.

Certains aspects du programme de 1er cycle en génie mécanique sont présentement à l’étude afin d’assurer que les étudiants aient à pratiquer des activités de design et synthèse à toutes les années du curriculum.  Ces activités, qui pourraient être appelées “ateliers d’ingénierie”, visent à développer l’esprit créatif des étudiants dès la première année du baccalauréat et tout au long du cours, en les arrimant à des matières traditionnelles enseignées concurremment.

Baccalauréat en génie physique:  les cours obligatoires sont ceux qui comportent la plus grande part des notions ou de pratique de design.  À la fin du cheminement, il y a les cours de Projet de fin d’études I et II qui comptent pour un total de 6 crédits.  Avant d’y arriver, il y a plusieurs cours à fort contenu de travaux pratiques dans différents secteurs de l’ingénierie, en génie géologique et génie électrique en particulier.  Ce qui, par contre, est le plus spécifique au génie physique se retrouve dans deux cours au sigle GPH, Laboratoire d’instrumentation et Travaux pratiques avancés.  Un nouveau cours de stage en milieu de travail est offert depuis le trimestre d’été 1996.

5. Place idéale du design dans les cours des programmes de génie

L'émergence d'un nouveau contexte

Il convient au préalable de prendre acte de l’évolution considérable du contexte et des défis de la carrière de l’ingénieur. De nouvelles tendances lourdes se confirment: Ces tendances lourdes appellent un certain recentrage de la formation qui, tout en garantissant une solide formation scientifique, doit voir à ce que celle-ci soit harmonieusement intégrée avec l'acquisition d’attitudes et de savoir-faire correspondant à ce nouveau contexte.

Une prise en compte au niveau nord américain

Ces modifications appellent une remise en question profonde de la facture des programmes de génie et plusieurs organismes s’en préoccupent.

La formation des ingénieurs dans les universités canadiennes”, rapport préparé en 1993 par l’Académie canadienne du génie” constitue une contribution importante à cette question  :
“Son (en parlant de l’ingénieur) rôle principal est la conception, un art qui fait appel à l’ingéniosité, à l’imagination, aux connaissances, à la compétence, à la discipline et au jugement appuyés par l’expérience.”

ou encore ...

“On peut s’attendre à ce que l’évolution rapide de la technologie se poursuive ... Le pouvoir de raisonnement holistique revêt une importance accrue pour l’ingénieur dans le monde d’aujoud’hui.”
Le même constat n'a pas échappé au Bureau américain d'accréditation des programmes de génie (ABET). Le document Engineering Criteria 2000, qui circule dans la communauté depuis décembre 1995, propose les critères qui devraient s'appliquer lors de l'accrédidation de programmes à partir de l'année de 2000. Il est prévu que ceux-ci soient définitivement ratifiés en décembre 1997. Compte tenu de la tradition bien établie de cohérence entre les paramètres canadiens du BCAPI et ceux de l'ABET, ce document constitue une contribution incontournable au présent dossier. Les critères ainsi annoncés, en ce qui concerne  les objectifs de formation, sont:

Il est remarquablement révélateur de constater à quel point l'activité design, telle que nous l'avons présentée plus haut comme une pleine intégration horizontale de la formation, s'identifie à la quasi totalité de ces 11 objectifs! De fait, les objectifs a, b, c, d, e, g et k sont en adéquation parfaite avec ceux d'une activité de design de qualité, alors que les objectifs f, h, i et j comptent certainement parmi les retombées significatives, en terme d'attitudes, d'éveil et de comportements, d'une telle démarche.
Cette vision stratégique, formellement incarnée dans Engineering Criteria 2000 , confirme donc la position centrale que devrait assumer la formation design dans une perspective renouvelée d'une formation de génie pour le prochain siècle: le design y assume la position centrale, autour de laquelle gravite l'ensemble des éléments de formation. Les membres du Comité y souscrive sans réserve.
Le lecteur retrouvera une position similaire, remarquablement bien articulée, dans un document d'envergure qui décrit le processus qu'a suivi l'université Carnegie Mellon lors de la révision de ses programmes de génie électrique et de génie informatique  . Ce document, fruit d'un travail amorcé en 1991 par une des premières universités en génie, décrit la philosophie d'une remise en question profonde - Wiping the Slate Clean - de l'ensemble du programme, qui utilise elle-même une approche design: les contraintes, les opportunités, les besoins, la transition d'un programme traditionnel à un nouveau:

"The prevailing philosophy of engineering education - teach first the basics in mathematics and science, follow with exposition of enginering applications - has remained unchanged and unchallenged for more than four decades. While contributing to the creation of engineers who are current in specific technologies, we believe that the teaching of unmotivated math and science followed by incrementally updated technical courses, is fundamentally flawed. It contributes little to the education of engineers who can acquire new knowledge as necessary, cope with dynamically changing work environments or excel in nontraditional jobs".

Bien que l'on y discute particulièrement le contexte du génie électrique et du génie informatique, on y développe des constats génériques, comme par exemple:

Il convient aussi de noter que le Conseil canadien des ingénieurs, qui coordonne en quelque sorte les activités du BCAPI, a également entrepris une réflexion sur la profession d’ingénieur  .

A Laval

Les discussions des membres du Groupe de travail ont rapidement permis de dresser les constats suivants concernant la formation de nos propres étudiants. On constatera à quel point ceux-ci rejoignent étroitement les préoccupations de l'ABET 2000, et ceci en dépit que ce document n'ait jamais été diffusé à la Faculté:

6. Recommandations

Le principal problème identifié de l’enseignement du design à la Faculté est celui d’un manque de coordination entre les activités de cette nature dans chacun des programmes de génie.  Il est donc recommandé:

R1: en regard de l’enseignement du design, d’adopter l’approche programme, c’est-à-dire:

a) de vérifier si tous les programmes ont au moins un objectif de programme relié à l’enseignement du design, et de s'assurer que cet enseignement se voit reconnu l'importance centrale qui lui revient;

b) que dans ce contexte on entende par design l'intégration élargie des connaissances, savoir-faire et habilités évoqués dans le présent document;
b) de voir à ce que dans tous les programmes les activités d’enseignement reliées aux objectifs sur le design soient adéquates, en quantité et en qualité;

c) de créer à moyen terme, dans tous les programmes de génie, une fillière "projet intégrateur" qui permette de contextualiser les connaissances formelles et d'établir un lien entre chacune des activités d’enseignement du design, ceci de la première année à la 4e année  ;

d) dans le but d’établir et de maintenir un fil conducteur entre les différentes activités sur le design dans un même programme, de réunir régulièrement tous les professeurs qui sont responsables de ces activités.

Remarque: cette dernière recommandation pourrait facilement être étendue à l’ensemble des activités des programmes; ceci signifierait que les professeurs oeuvrant à l’ensemble des activités d’un même programme, se réuniraient au moins une fois par trimestre afin d’établir des liens bien sentis entre les cours du programme dans le meilleur intérêt des étudiantes et des étudiants.

e) que dans chaque programme on identifie un professeur responsable d'assurer une animation constante de l'intégration horizontale des activités qui caractérisent la formation en design, et que ce professeur fasse périodiquement rapport au Comité de programme.

f) que l'on améliore à moyen terme l'intégration des activités de formation complémentaire, dans la mesure où celles-ci peuvent concourir significativement à l'atteinte générale des objectifs de la formation en design.

En fonction de certaines lacunes bien identifiées, les membres du Groupe de travail ont formulé les recommandations suivantes:

R2: Dans les cours de pédagogie à l’intention des nouveaux professeurs, on devrait mettre l’accent sur l’enseignement du design.

R3: Au niveau département, on devrait réserver une salle dédiée au design où étudiants, professeurs et praticiens de l’industrie pourraient se rencontrer régulièrement. Il a été suggéré que les étudiants soient impliqués dans la gestion de cette salle, par exemple et notamment au niveau de la mise à jour continue de la documentation technique.

R4: Il faudrait apporter un grand soin à l’enseignement du design en première année dans le but de donner aux étudiants, dès leur initiation à leur nouveau programme, des notions de design et de leur permettre de contextualiser leurs nouvelles connaissances.
En relation avec ce dernier point, les membres du Groupe de travail n’ont pas retenu une suggestion qui préconisait la création d’un cours de design de première année, s’adressant à l’ensemble des étudiants des programmes de génie.

En discutant de la question du design, les membres du Groupe de travail ont souvent abordé des questions plus générales, comme l’intégration des connaissances dans le cadre des cours et des programmes.  Afin d’assurer l’intégration des connaissances tout au moins au niveau de tous les cours, la recommandation suivante a été retenue:

R5: Au niveau de l’ensemble de la Faculté, il faudrait revenir au système des examens finaux dans tous les cours, y compris évidemment ceux sur le design.
Remarque: cette recommandation vise à éviter le compartimentage des connaissances dans le cadre de chacun des cours des différents programmes de la Faculté.  C’est un premier pas vers l’intégration des connaissances dans un même cours et d’un cours par rapport à un autre du même programme.
 

J.Claude Méthot, ing.
Président et secrétaire
du Groupe de travail

Remarque: M. Denis Poussart, membre du Groupe de travail, a spontanément accepté de collaborer à la rédaction de ce rapport et je l’en remercie.
 

JCM/hmm
21 novembre 1996